Interview : Kevin Pritchard

Interview d’un vieux Pritchdog

(ITW réalisée par Julian Schlosser en 2017 et toujours d’actualité)

Début janvier. Ma boîte mail m’annonce l’arrivée d’un nouveau message de la part de Kevin Pritchard avec le titre suivant : “Article on old Pritchdog”. Tout de suite, je comprends ce qu’il attend de moi. Après sa victoire à l’Aloha Classic en 2016, KP est en manque de reconnaissance de la part des médias. De plus en plus présent sur l’eau à travers des trips ou le tour AWT (IWT aujourd’hui en 2020), serait-il en train de faire un come-back sur la scène windsurf internationale ? Mais pourquoi parle-t-il de “Vieux”, lui qui est à peine plus âgé que moi. Afin d’avoir des réponses à toutes ces questions, je décide de lui donner rendez-vous directement à Maui en avril (et oui on est comme ça chez Planchemag) pour une interview.

C’est donc le 3 avril 2017, au Baked on Maui de Haiku, que nous nous retrouvons autour d’un café (pour lui) et d’un thé glacé (pour moi). Pas très bien installé sur des chaises métalliques, je lance l’enregistrement afin de connaître un peu mieux ce bon vieux Kevin Pritchard.

 

Salut KP. Il y a quelques mois, tu es venu vers moi pour organiser cette ITW en utilisant comme sujet de mail : l’ITW d’un vieux Pritchdog. Mais tu as quel âge aujourd’hui ?

KP : 41 ans (44 ans aujourd’hui)

 

Tu trouves que c’est vieux ?

(Il rigole) Lorsque tu regardes les autres windsurfers faire de la compétition, ça l’est. Par contre, c’est vrai que lorsque tu regardes la moyenne d’âge du windsurfer lambda, pas vraiment. Je reste bien en-dessous.

 

Qu’est-ce que l’on fait de ses journées alors lorsque l’on est vieux comme toi ?

Je suis encore très “focus” sur le windsurf. Je navigue pratiquement tous les jours quand il y a du vent. Je teste du matériel, travaille sur le développement avec Ezzy et Starboard (depuis il est passé chez Goya Boards). Sinon, je m’occupe des réseaux sociaux, du site internet d’Ezzy aussi. J’ai de quoi bien m’occuper.

 

Aujourd’hui, malgré ton vieil âge, des marques te sponsorisent encore ?

(Il rigole) Yep ! Et c’est un job vraiment cool, non ? Je fais exactement ce que j’aime faire. J’ai peu de pression, je fais des photos, je navigue, j’écris des reports sur le matériel que je teste… et je suis payé pour ça. Je suis même payé pour faire du vélo puisque depuis quelques années, je suis sponsorisé par une marque de vélo car je pratique beaucoup le vélo de descente. Pas mal non ?

 

Quels sont tes revenus ? As-tu une bonne retraite ?

J’ai encore des revenus par mes sponsors, ma maison est payée, je fais de la location à court et long terme. J’ai de quoi bien vivre et de continuer à vivre ma passion à fond. C’est plutôt cool. A un moment, je faisais pas mal de vidéo ou de photos mais ce n’était pas du tout rentable. Pour le moment, je le fais plutôt pour moi, pour ma propre promotion et celle de mes sponsors, plus vraiment pour les autres.

Il est vrai qu’à un moment, tu passais plus de temps sur terre à shooter que sur l’eau à naviguer…

C’était au même moment que lorsque j’ai arrêté la compétition. J’avais peut-être besoin d’un break. J’étais en overdose de windsurf. J’en suis resté proche mais de l’autre côté.

 

Quand tu regardes tout ce que tu as accompli durant ta longue vie, y a-t-il quelque chose qui sort du lot à tes yeux ?

Quand tu es sur le tour pro, tu penses souvent que tout le monde est en train de te regarder, de te juger. Que si tu fais 1, 2 ou 3 sur une compétition, tout va changer. Tu es trop focus sur ce que tu es en train de faire et tu donnes trop d’importance aux choses. Et dès que tu arrêtes et que tu regardes derrière toi, tu t’aperçois qu’en réalité, ce que tu as fait pendant des années n’est pas si important que ça. Je suis fier de mon parcours, de mes victoires, de mes titres. Je m’en souviendrai toujours comme quelque chose de positif. Mais au final, c’est quoi ? Qui se souvient de quand j’étais champion du monde hormis moi ? Pas grand-monde.

(Il s’arrête 2 sec et revient sur le sujet) : Il y a quand même une chose dont je me souviens et qui restera marqué dans ma tête, c’est en 2000, quand je bats Bjorn à l’overall. J’ai été le premier à le faire tomber de sa place de premier à l’overall. Pour beaucoup, il était imbattable, sauf pour moi. Je me souviens de la date, de ce que j’ai fait durant toute la journée. Je ne sais pas pourquoi mais ça, je ne l’oublierai jamais.

 

Combien de fois as-tu été champion du monde ?

Deux fois en vagues, trois fois en race et une fois overall.

Un jour, comme ça, tu as décidé d’arrêter la compétition. Pourquoi ?

Le ras le bol je pense. Et puis j’ai eu une bonne opportunité avec la marque Ezzy qui ne faisait pas de voiles de race. C’était le moment d’arrêter je pense. J’avais besoin d’un petit break. J’en avais trop fait durant des années et pour rester en contact avec le milieu, j’ai décidé d’aller de l’autre côté de la caméra. C’était ce qu’il y avait de plus simple pour moi à l’époque. J’étais fatigué de faire tout le temps la même chose, d’être stressé pour un rien…

 

Mais il y a quelque temps, tu as décidé de te reconcentrer sur le windsurf. Pourquoi ?

Un jour, je suis allé naviguer avec Marcilio Browne et d’autres gars de sa génération. Ils m’ont indirectement reboosté dans ma passion. Marcilio est ultra motivé, sérieux. Il m’a redonné l’envie de retourner à l’eau. Pendant des années, je naviguais avec mon frère, on se motivait mutuellement. Là, je le faisais avec Marcilio ou d’autres plus jeunes que moi qui m’ont motivé à dépasser mes limites parfois. Depuis un ou deux ans, je soutiens deux trois jeunes de Maui qui ont à peine 15 ans et qui sont ultra motivés, qui naviguent bien… C’est un peu la future génération et je mets mon expérience, ma motivation à leur disposition… Tu sais, ils ne sont pas nombreux sur Maui, aussi jeunes et aussi motivés, donc j’essaie de les aider au mieux pour que le windsurf voit arriver encore de nouveaux visages.

 

 

Qu’est ce qui t’a motivé à reprendre la compétition un jour du côté de l’IWT ?

Pour moi, la “vibe” des épreuves IWT* (anciennement AWT**) est tellement différente que celle que l’on a sur les épreuves PWA… On n’a pas besoin de se prendre au sérieux, il n’y a pas de stress. On navigue sur des spots remarquables. On est plus relax. Pour moi, au jour d’aujourd’hui, c’est plus intéressant de faire ce tour que le tour PWA. Il n’y a pas photo. J’ai dû aller à Gran Canaria pendant plus de 20 ans, idem pour d’autres spots. Je n’en pouvais plus et voulais quelque chose de nouveau. Je n’ai pratiquement plus d’ego aujourd’hui. Je n’ai plus rien à prouver, j’ai été plusieurs fois champion du monde. Maintenant, je veux naviguer pour le plaisir, pour moi principalement. Je ne veux plus devoir me battre contre d’autres riders qui, de plus, sont en fait mes potes.

 

L’année dernière, tu as remporté l’Aloha Classic devant plein de jeunes. Tu es peut-être en vague le plus vieux vainqueur d’une épreuve. Comment as-tu fait ? Qu’est ce qui a fait la différence ?

(Il réfléchit 10 secondes avant de prendre la parole) : Je pense qu’il s’agit une fois de plus d’ego. Avant la compétition, je me suis pas mal entraîné à faire des moves bien radicaux afin de prouver à tout le monde que je pouvais faire ce que la jeune génération est capable de réaliser en waveriding. Mais au final, pendant la compétition, je me suis surtout concentré sur ce que les juges voulaient voir plutôt que du radical et ça a marché. Je n’ai pas forcément réalisé le plus beau 360 dans la vague, mais par contre, je me suis appliqué à faire de gros surfs avec des aerials bien massifs. Et puis j’ai été chanceux aussi avec les conditions. On a eu des vagues taille de mât, voire plus. La jeune génération, malheureusement pour elle, n’a pas mon expérience dans ce type de conditions. Ça a plus joué à ma faveur pour le coup.

 

Cette victoire ne t’a pas motivé à un éventuel retour sur le tour PWA vagues ?

(Directement, sans réflexion) : Non. Pour être honnête, je ne suis pas certain qu’en dehors de Maui, mon niveau soit suffisant pour faire des résultats. La génération en place fait des choses remarquables dont je ne suis plus capable, spécialement en bâbord.

Un vieux comme toi n’as pas trop mal au dos après une session à Hookipa ?

Non, ça va. Quoi que, ça fait plus de deux semaines que je navigue pratiquement tous les jours pour les photoshoots de mes sponsors et je commence à être un peu tendu en bas du dos. Mais ça va passer.

 

Les vieux font plus du slalom que de la vague. Pourquoi pas toi ?

Hummm… Je ne sais pas. Parce que je préfère la vague tout simplement je pense. Tous les jours, je passe devant Hookipa, les conditions ne sont pas forcément toujours bonnes mais sur l’eau, je m’éclate toujours un peu. Depuis que j’ai commencé la planche, je préfère la vague. J’aime la race, j’aime être de toute façon sur l’eau dès qu’il y a du vent mais j’ai une préférence pour la vague. Et puis, c’est plus simple au final comme pratique, niveau matériel.

 

Qui est le vieux de ta génération qui te fait encore rêver ?

Je n’ai pas vraiment de modèle. Je vis à Maui, je navigue presque tous les jours à Hookipa, je n’ai pas de pression, je gagne ma vie avec le windsurf… Aucun nom me vient à l’esprit.

 

Depuis combien de temps vis tu à Maui ?

Vingt-trois ans.

 

Et tu n’as jamais pensé à partir ?

Pour aller où ? Je continue de voyager pour le windsurf, mes parents vivent ici, mon frère avec ses enfants, mes potes, il fait beau, il y a les plus belles vagues du monde… C’est mon paradis ici. Je ne vois pas où je pourrai aller vivre ailleurs. Et spécialement si tu as la possibilité de bouger de temps en temps, pourquoi partir vivre ailleurs ?

 

Tu bouges encore beaucoup ?

Je continue à me faire 2/3 voyages par an. Avec l’IWT, l’année dernière j’ai découvert le Maroc, je suis allé à Baja… Cet hiver, je suis allé en Nouvelle Zélande faire du vélo ce qui m’aide pas mal dans ma pratique du windsurf car je travaille pas mal le cardio. Je vais de temps en temps au ski. J’essaie d’éviter d’être sur Maui sur certaine période comme l’été où les conditions ne sont pas forcément top.

 

Pour continuer à avoir un tel niveau sur l’eau malgré ton âge, dois tu prendre des pilules ou d’autres drogues ?…

Je ne prends rien. Sauf peut-être un peu de doping le soir à base de vin ou bière. Blague à part, non. Le vélo me permet vraiment de garder la forme et en ce moment, j’en fais pas mal.

 

Quel est ton rêve aujourd’hui ?

Je ne sais pas. Peut-être continuer à faire ce que je fais aujourd’hui le plus longtemps possible.

 

Tu penses que dans 10 ans, tu auras le même mode de vie ?

J’espère bien. Pour Ezzy, un résultat en compétition est de loin la priorité. Alors je sais que si je continue avec eux pour faire de l’image, tout se passera bien. Si je garde de bonnes relations avec mes sponsors, si je continue à développer leurs produits, à en faire la promotion… Pourquoi cela changerait ? Regarde Robby (Naish). Il est à un niveau bien supérieur au mien car il a sa propre marque mais il a gardé le même mode vie en allant naviguer le plus souvent possible, faire du kite, du sup…

 

Tu sais ce que tu aurais fait si tu n’avais jamais commencé le windsurf ?

Non, je n’y ai jamais vraiment pensé. Mais je sais que si un jour mes contrats de sponsoring doivent s’arrêter, je pourrai toujours reprendre la partie vidéo/photo que j’ai appris pendant plusieurs années et que j’ai mis un peu de côté ces derniers temps.

 

Tu n’as pas un job rêvé ?

Le mien est pas mal, non ? Il fait pas mal rêver tu ne trouves pas ?

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