Histoire : Lüderitz Speed Challenge 2015

Antoine Albeau frôle les 100 km/h

Dans une tempête de force 10, Antoine Albeau a réussi l’exploit de glisser à 53,27 nœuds (98,66 km/h) sur 500 mètres, établissant un nouveau record de windsurf.

Lundi 2 novembre 2015 devient une nouvelle date historique dans le windsurf, avec deux records battus sur le canal de Lüderitz, en Namibie. Trois ans de travail et surtout de patience pour battre les précédents records, récompensés en quelques heures seulement dans des conditions presque idéales.

Car entre le 5 octobre et le 15 novembre, sur les six semaines d’ouverture du canal, seules 5-6 journées ont vu le vent souffler à plus de 40 nœuds, dont une seule exploitable pour battre un record en windsurf. Antoine Albeau étaient présent et surtout préparé/réglé pour cette journée. Ce lundi 2 novembre 2015, Antoine Albeau a enchaîné 32 runs de 500 mètres entre 12 h 16 à 17 h 49, soit près d’un run toutes les dix minutes pendant cinq heures trente. Survolté, il a battu ce jour-là 17 fois l’ancien record et même amélioré par cinq fois le record dans la journée. Antoine Albeau, habitué des records de vitesse, nous livre à chaud ses impressions sur son aventure à Lüderitz. Avec ses yeux, avec son cœur.

Entre le retour de l’épreuve PWA de Sylt et le départ pour celle de Nouméa, Antoine n’avait que trois petites semaines en Namibie pour établir un nouveau record. Le coup de poker a réussi, et l’homme aux 22 titres de champion du monde établit un nouveau record de 53,27 nœuds, qu’il est allé chercher avec ses tripes.

 

Planchemag : Quels sont les petits détails qui ont permis de battre 17 fois ton record de 2012 le lundi 2 novembre, alors que les deux jours précédents étaient aussi ventés ?

Antoine Albeau : Le vent était un peu trop abattu sur le canal les jours précédents, comme le samedi, ce qui rendait le plan d’eau clapoteux. Avec un peu plus de 140° d’angle sur le canal, c’était hyperdur. Je passais des runs à bloc en 5,2 m², sans pouvoir dépasser les 48 nœuds car on perd vite 3 à 4 nœuds dans le clapot. Garder le contrôle est beaucoup plus dur. C’était super-dangereux, je suis tombé deux fois. Le dimanche, il y avait moins de vent.

 

Quelles sont les conditions requises concernant le matos pour effectuer des runs à plus de 52 nœuds ?

J’ai fait de bons runs à 53 nœuds en 5,6 m². Puis, je suis passé sur la 5,2 m², avec laquelle j’ai battu mon record. Il faut que le vent soit le plus fort possible, qu’il souffle autour de 50 nœuds. Soit 45/50 nœuds à passer à un moment où tu prends la rafale du début à la fin. Sachant qu’un run dure 18 secondes entre les deux poteaux qui délimitent les 500 mètres. Il faut ensuite prendre la rafale avant la porte d’entrée, car si tu la passes même à 49 nœuds, ce n’est pas suffisant pour battre un record.

 

Lundi 2 novembre, tu as enchaîné 32 runs en moins de six heures, soit un run toutes les dix minutes. Que ressens-tu physiquement et mentalement durant ces 5 h 30 de course ?

Je ne sais pas comment j’ai fait, je crois que j’étais sur une autre planète. Je savais que c’était mon dernier jour sur place pour battre le record, car le vent tombait les jours suivants. J’avais aussi la haine des jours précédents, parce qu’on avait manqué un peu de vent ou on avait eu trop de clapot sur le canal. Ce lundi 2 novembre, j’ai senti qu’il fallait que je sois présent, et je suis allé à l’eau tout de suite. Je me suis dit que je laissais la fatigue pour le lendemain. J’étais dans une autre… comment dire… une autre dimension. Super-motivé, j’envoyais les runs les uns après les autres sans me fatiguer. Le fait d’avoir du monde autour de moi a été très important ce jour-là.

Un chauffeur et des gars qui m’aidaient à terre. Il y avait aussi Paola [sa compagne, Ndlr] qui m’aidait et beaucoup d’autres gens. C’était très important pour moi, car on était dans des conditions de navigation vraiment extrêmes.

 

Tu as eu peur ce jour-là ?

Pendant toute la journée, la peur est omniprésente, car si tu te prends une gamelle avec 10 kg de plomb dans le dos, c’est chaud. Je me suis mis deux bonnes boîtes que j’ai senti passer. Quand tu te lances pour ton run, il ne faut pas que tu fasses de spin out, sinon tu pars direct par-devant.

Ensuite, il ne faut pas toucher la berge, et le problème, c’est qu’elle n’est pas droite à cause de l’ensablement qui évolue dans la journée. C’est dur à décrire, tu ne peux pas t’imaginer. Les conditions que l’on a eues, c’était un truc de malade. Tu ne peux pas faire le run sans un masque déjà. Et dans le run, tu ne peux quasiment pas ouvrir la bouche tellement tu manges de sable. C’est comme si tu conduisais dans le brouillard. J’ai effectué 4 ou 5 runs dans lesquels je découvrais le run au fur  et à mesure que j’avançais. Tu as peut-être 20 ou 25 mètres de visibilité seulement devant toi, tu n’en vois pas le bout et les gars en bas ne te voient pas arriver.

Ce sont des sensations extrêmes. La sensation du virage, je te jure c’est… [Antoine, encore ému, ne trouve pas ces mots, Ndlr]. Ce sont les plus grosses accélérations de toute ma vie. Tu te fais compresser dans le harnais, c’est un truc de fou.

 

êtes-vous nombreux à pouvoir braver de telles conditions ?

À un moment, j’étais tout seul à enchaîner les runs. Patrik Diethelm n’arrivait même plus à passer, il est revenu à pied plusieurs fois. C’était vraiment radical. C’est surtout très dur quand tu prends le virage pour rentrer sur la grande ligne droite, il faut y aller. Il y a ensuite le clapot et les grosses risées qui te font sortir de ta trajectoire en plein run. Le départ est technique, avec une zone un peu déventée au début. Il faut sauter sur la planche, pomper, s’accrocher au harnais et te caler. Souvent, avant le virage, tu te fais ouvrir la voile parce que tu es complètement surtoilé. Tu navigues en vitesse avec deux surfaces de voile de plus qu’en slalom.

Ensuite, il y a le run à gérer et l’arrivée. C’est super-chaud de sortir de l’eau avec le matos avec 50 nœuds de vent. Il y a une marche à sauter, il faut mettre le matos dans le camion, remonter au taquet sur la piste à 100 km/h, puis transporter à nouveau le matos pour reprendre le départ. C’est un petit manège. Il faut compter environ dix minutes entre le moment où tu te mets à l’eau et celui où tu retentes l’opération. J’ai même réussi à faire deux runs en six minutes. Je n’avais pas envie de faire un run à blanc.

 

Quelles émotions as-tu vécues pendant cette journée et après ?

Lundi 2 novembre, lorsque j’ai battu mon précèdent record de 52,05 [établi en 2012, Ndlr], tout le monde était là, super content. C’était top, un exploit. Mais je ne me suis pas arrêté, parce que je pensais qu’il était possible de faire encore mieux. Alors j’ai continué d’enchaîner les runs jusqu’à ce que les 53,27 nœuds tombent. Et là, c’était

exceptionnel.

 

Au niveau du matériel, quelles sont les évolutions ces dernières années ? À quel niveau les ailerons et gréements ont-ils progressé ?

On a bénéficié de beaucoup d’évolutions concernant le matos, au niveau des voiles et des ailerons surtout. J’ai fait mes 53 nœuds avec des planches que j’avais depuis 2013.

Ce qui a fait la différence cette année, ce sont les conditions de navigation, que l’on n’avait pas eues lors de mon précédent record en 2012. Le jour du record, j’avais un Z fin 18 cm asymétrique sous les pieds, sachant que mes Gasoil et UFO glissaient aussi très fort.

Pour les voiles, j’avais un jeu de Neil Pryde Evo 8 et un jeu de protos. J’ai fait 53 nœuds avec la nouvelle 5,6 Evo 8. J’avais la même en proto avec la bordure un peu plus grande pour prendre un maximum de vent. J’avais la 5,2 m² proto pour le record à 53,27 nœuds.

 

Quel a été le moment le plus fort ?

C’est la première fois où j’ai battu mon record. J’ai eu pas mal d’émotions à cet instant-là. Je pense à ma famille, à Paola, tous mes partenaires. Ils sont nombreux à m’avoir aidé. Ils m’ont fait confiance pour partir sur ce voyage. Ils ont investi de l’argent, ils ont conscience de ce que cela représente et je n’avais pas envie de revenir avec un 49 nœuds. Oui, je voulais prouver à mes partenaires que je ne suis pas un Charlot, que je suis capable.

 

Quel bilan tires-tu de ton séjour en Namibie ?

J’ai dû naviguer 5/6 jours sur le canal en Namibie. Une seule journée était vraiment bonne. J’ai effectué 108 runs en quatre jours, dont deux que je n’ai pas terminés car je suis tombé. Le jour de mon record, j’ai fait 33 runs dans la journée, à une vitesse moyenne de 51,88 nœuds. C’est un bilan très positif. C’était un bon coup de poker, je suis parti quelques jours après l’épreuve PWA de Sylt, je rentre trois jours en France et je repars à Nouméa pour la finale PWA.

 

Quelles conditions va-t-il falloir maintenant pour battre ce record ?

Les mêmes conditions de vent et un plan d’eau plus plat seront nécessaires. Il va falloir le trouver, mais on peut encore gratter. J’ai décortiqué tous mes runs, dont un où j’ai parcouru 100 mètres à 54,90 nœuds au GPS. Il suffit maintenant de tenir cette vitesse sur 500 mètres.

 

Les records de vitesse hommes sur 500 mètres

65,45 • Vestas Sailrock et Paul Larsen (bateau) • Walwis/Namibie-2012

56,62 • Alex Caizergues (kitesurf) • Salins de Giraud-2013

53,27 • Antoine Albeau (windsurf) • Lüderitz/Namibie-2015

 

Les records de vitesse femme sur 500 mètres

50,43 • Charlotte Consorti (kitesurf) • Lüderitz-2010

46,31 • Karin Jaggi (windsurf) • Lüderitz-2015

 

Par  Arnaud Deschamps .  Photos : Jérémy Lacave

 

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