Histoire : Il était une fois La Torche

Histoire : Il était une fois La Torche

Par Vincent Chrétien (Avril 2016)

 

Après dix années passées à ronger notre pied de mât, le circuit mondial est enfin de retour en France et fera étape du 18 au 26 octobre en Bretagne, à la pointe de La Torche. Un spot élevé au rang de mythe un dimanche venté du mois de mai 1986.

 

 

Il faut comprendre : c’était une époque où Internet n’existait pas. Où les portables n’existaient pas. C’était une époque où les seules données météorologiques disponibles étaient distillées parcimonieusement trois fois par jour sur un kiosque téléphonique…

La France comptait encore trois grands réseaux de revendeurs spécialisés : Matos, Quai 34 et Neway. En l’absence de réseaux sociaux, les surfshops étaient un point de rendez-vous obligé pour qui voulait se tenir informé ; c’étaient nos églises et le bar du coin, les surfshops ; on y priait (le vent) et on y papotait (sans fin) …

 

Et c’est là, dans un surfshop, que nous l’avions appris, la rumeur s’était répandue, comme portée par un monstrueux coup de vent : FR3 avait décidé, en raison de prévisions météo favorables, de retransmettre en direct (et en national) l’épreuve de coupe du monde qui se déroulait cette semaine-là, chez nous, en France, à la pointe de La Torche. Frustrés d’image comme nous l’étions alors… car à part quelques cassettes VHS que nous nous repassions en boucle et la grande tournée annuelle des Nuits de la glisse… Ça donne une idée du truc, de l’importance du phénomène windsurf dans les années 1980-90. Être capable de chambouler les programmes et faire le pari d’un direct pour une compétition de planche à voile, imaginez un peu ! Et c’est ainsi que nous nous retrouvâmes tous, aux quatre coins de l’Hexagone, rivés devant notre petit écran, à assister, en ce dimanche 4 mai 1986, à un spectacle que nous n’étions pas près d’oublier. Coup de bol supplémentaire, Nelson Monfort n’officiait pas encore le dimanche sur les chaînes du service public…

 

“ Je ne me souviens plus combien de temps avait duré le direct… Trois heures, peut-être quatre ? […] Nous étions dans un état second ”

 

C’était il y a un peu plus de trente ans

Pour être franc, je ne me souviens plus combien de temps avait duré le direct… Trois heures, peut-être quatre ? Je me souviens en revanche que lorsque nous avons éteint la télévision, nous étions dans un état second. Il y a des images qui s’incrustent comme ça à jamais dans vos neurones, allez savoir pourquoi. Tout le monde peut dire où il se trouvait le 11 septembre 2001. Eh bien, pour les windsurfeurs qui ont assisté à cette retransmission, c’est du pareil au même. Une véritable déflagration. Je sais, la comparaison est maladroite. Pas politiquement correcte. Mais ce n’était pas-politiquement-correct-du-tout ce que les caméras affolées de FR3 nous avaient déversé un après-midi durant dans le cortex : un spectacle wagnérien complètement déraisonnable et hypnotisant.

Et puis nous étions fiers comme des baleines, ça se passait chez nous, ça POUVAIT se passer chez nous, en France, en Bretagne, là où nous allions enfant en vacances avec mémé, notre pelle et notre seau ramasser des crevettes grises, pas à Hawaii ou dans l’un de ces inaccessibles paradis tropicaux situés à des heures d’avion…

 

Légende celtique et rock’n’roll mood

Il faisait un temps de chien ce jour-là en Bretagne. Il pleuvait. Comme à Woodstock. Les légendes se fomentent-elles sous l’effet conjugué du vent, de la pluie et de la boue ? Qui sait. Toujours est-il que, ce dimanche 4 mai, on pouvait voir, emmitouflées dans leurs cirés et leurs blousons fluo siglés Gaastra ou Oxbow, des grappes entières de magma humain accrochées aux rochers, bravant la tempête et les intempéries pour tenter d’entr’apercevoir ce qui se passait sur l’eau. Malgré ces conditions météo exécrables, 150 000 personnes s’étaient donné rendez-vous sur le spot bigouden.

 

“ Le vent side-on soufflait en rafales entre 30 et 40 noeuds. Et les gars allaient au carton pleine face ”

 

La raison d’un tel succès populaire ?

Le windsurf avait le vent en poupe et était certes plus médiatique qu’aujourd’hui, mais peut-être y a-t-il d’autres raisons à pareil succès… Disons-le tout net, les épreuves étaient plus spectaculaires, notamment le slalom. Et c’est CE slalom, en ce dimanche 4 mai 1986, qui a fait la légende de La Torche. Par poules de 8, les compétiteurs s’élançaient de la plage, portant leur matos, un peu comme un départ des 24 heures du Mans moto. Avec pour premier obstacle un shore break violent et piégeux. Des gladiateurs se jetant dans l’arène liquide. Car il fallait les avoir bien accrochées ce jour-là : les séries déferlaient en vrac, les plus imposantes à hauteur de mât. Le vent side-on soufflait en rafales entre trente et quarante nœuds. Et les gars allaient au carton pleine face. Le niveau de pratique n’était pas aussi élevé qu’aujourd’hui, si bien qu’on les sentait vraiment à la limite de la rupture, nos Robby Naish, Bruce Willie, Pete Cabrinha, Anders Bringdal, Björn Dunkerbeck, sans oublier nos Frenchies, les Thiémé, Teriitéhau, Salles et le local de l’étape Patrice Belbeoc’h, dont nous n’avions encore jamais entendu parler. C’était épique, nous sentions que quelque chose de grand était en train de se jouer en direct, là, sous nos yeux. Oui, nous étions fiers. Fiers pour nous, encore une fois, parce que ça se passait chez nous, en France, et fiers pour eux, fiers de les voir si valeureux et si téméraires. Avec eux, c’était toute la tribu qui repoussait ses limites, qui réalisait l’impensable et voyait s’ouvrir en grand l’ère du windsurf moderne. Demain, lundi, nous pourrions dire, avec un fond de fierté teintée d’un rien d’arrogance dans le regard : « Oui, c’est ça, le windsurf, vous comprenez maintenant… »

Et après ?

Les deux dernières épreuves mondiales qui se sont déroulées à La Torche en 1992 et 1994 n’ont pas laissé de trace significative dans la mémoire collective de notre sport, faute de vent. Mais je me souviens que nous nous y étions rendus, impatients et fervents comme des pèlerins sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Nous aussi nous voulions voir, nous aussi nous voulions respirer l’endroit, nous aussi nous voulions communier et « voir de nos yeux » ce spot retors qui avait obligé, quelques années plus tôt, l’Hawaiien Pete Cabrinha (et sa célèbre voile US151) à faire demi-tour en demi-finale du slalom pour éviter de se faire dévorer tout cru par une monstrueuse série.

 

 

 

 

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