Interview : Justine Lemeteyer

De retour en France, seulement deux jours après son deuxième sacre mondial, Justine Lemeteyer, Championne du monde PWA de Slalom Foil 2024 et 2025, a mis de côté ses cahiers de révisions pour partager avec nous son expérience de cette dernière étape japonaise et revenir sur ce nouveau titre. Reposée et pleine de réflexion, notre Frenchie championne du monde nous livre ses impressions dans cette interview.


Salut Justine, comment tu te sens quelques jours après ce nouveau titre mondial ?

Ça va. Je suis juste en train de préparer un examen qui a lieu cet après-midi, donc je sais que je vais rapidement passer de ce petit nuage à la réalité. Mais sur le moment, ça a été un peu difficile. J’avoue que j’ai eu du mal à être pleinement satisfaite, parce que je sortais d’une dernière journée franchement compliquée. En fait, c’est surtout la colère liée à cette mauvaise journée qui a pris le dessus sur la joie du titre. Là, je commence doucement à redescendre, à laisser retomber cette colère et à savourer ce titre. C’est particulier de devenir championne du monde tout en étant en colère… Je n’avais vraiment pas imaginé ça.


Tu passes quoi comme examen exactement ?

Je passe à un diplôme d’entraîneur, le DEGEPS, et j’ai mon oral de soutenance cet après-midi. Donc là, je suis en train de préparer ça.

Sur la finale de la 4ème élimination qui peut te permettre d’être déjà couronnée championne du monde, il y a un rappel général et à la surprise générale, tu rentres à la plage et la finale se court sans toi ! Que s’est -il passé ? 

En fait, à ma montre, j’étais vraiment au top. Mais d’un coup, rappel général. J’étais toute seule sur la ligne, donc je pensais vraiment avoir sauté. Je suis retournée au bateau comité, j’étais la première, et le comité m’a fait ce signe avec une croix, les bras en croix, en me regardant, et c’est tout. Il fait une croix avec les bras en me regardant, puis il rebaisse l’Aperçu, puis il continue sans me regarder. Donc moi, j’ai vraiment compris que c’était mort. Je pensais avoir sauté, alors je suis rentrée à la plage. Mais grosse erreur, parce qu’en fait, je n’avais pas sauté. Son signe voulait dire que je n’avais pas grillée la ligne, mais on ne s’est vraiment pas compris. Son signe n’était pas clair, et mon erreur a été de ne pas avoir attendu, de ne pas lui avoir demandé confirmation, et de me baser juste sur un signe… J’aurais dû lui demander confirmation. Donc je suis rentrée à la plage, et là, j’ai vu tout le monde me faire signe qu’il fallait que je retourne, mais c’était trop tard. Ouais, grosse boulette à un moment vraiment pas opportun.

Est-ce le moment le plus difficile de ta saison ?

Oui, c’est le plus dur, parce que là, je venais vraiment de me mettre dans le dur. J’avais des manches de 1 et de 3, donc tout allait très bien. J’étais vraiment en avance sur mes adversaires. Et là, d’un coup, je viens de griller ma cartouche. Je viens d’utiliser ma discard. Et en plus, sur un truc qui, pour moi, sur le moment, paraît être une injustice énorme. C’est vraiment difficile. Mais très vite, je comprends aussi mon erreur. Et quand on arrive à la manche 5, la première chose que je fais, c’est aller m’excuser auprès du comité. Mais sur le moment, c’est vraiment dur de se dire : “Putain, pourquoi maintenant ?” Il y a ce rappel, alors qu’au final, je cassais le départ. Donc ça met un coup au moral. En plus, tu loupes quand ça recourt. C’était vraiment dur. Et en même temps, ma saison jusque-là était vraiment parfaite. Cette dernière journée… c’est la seule mauvaise journée de ma saison. Tout le reste était parfait.

Justement, tu tires quoi comme leçons de cette étape du Japon ? 

Que tout est possible. C’est ça, le sport. Je me sentais vraiment bien, ce matin-là. Je n’avais pas passé la meilleure nuit de ma vie, mais c’est souvent le cas la veille d’une journée comme celle que nous allions vivre. Je savais que la journée allait être émotionnellement chargée, dans un sens ou dans l’autre. Je ne pensais pas spécialement au titre, mais j’avais beaucoup d’excitation la veille au soir. Quand je suis arrivée le matin, je me sentais sereine. J’ai plein de protocoles de prépa mentale pour être sûre de ne pas être trop détendue ou, au contraire, trop stressée. Tous les voyants étaient au vert. Je me sentais bien, pleine de confiance, avec de l’envie… Franchement, j’avais l’impression que rien ne pouvait m’arriver.

Et au final, il s’est passé des choses dont je n’ai pas forcément les réponses comme ce premier jibe dans la première finale de la journée. Je ne sais toujours pas pourquoi il foire. Qu’est-ce que j’ai fait pour que ça foire ? Ce truc de mal comprendre le comité de course… Et cette dernière manche où je prends une catapulte alors que je n’étais pas en train de faire une folie, j’étais hyper concentrée, j’avais vu la rafale arriver. Ça montre bien que même quand tous les feux sont verts, il y a tellement de paramètres dans notre sport que la journée peut partir en vrille. Elle peut te glisser entre les mains très vite. C’est vraiment ça, la leçon, je pense.

Être championne du monde c’est difficile. Le rester est-ce encore plus dur ?

Oui et non. Parce qu’au final, l’année dernière, je suis arrivée au Japon avec un niveau de stress monstrueux, parce que j’avais l’impression de jouer ma vie. Cette année, en revanche, j’arrivais plus en mode « si je le regagne, c’est bien ; et si je ne le gagne pas, on ne m’enlèvera pas celui que j’ai déjà ». Du coup, en termes de pression, c’était beaucoup moins important, c’était un peu plus simple. En revanche ce qui était dur, c’était ce changement de partenaire avec Patrick. C’était un peu le challenge que je m’étais fixé. Un challenge un peu difficile, parce que je voulais vraiment lui ramener ce titre. C’est pour ça que nous voulions travailler ensemble. Ça ne m’a pas rajouté énormément de pression, mais ça a ajouté du challenge et de l’envie.

Que t’évoque cette vidéo après la course ou l’on te voit découvrir que tu es championne du monde ?

Déjà, à chaque fois que je la regarde, elle me remet les larmes aux yeux. C’était le choc pur et dur, parce que j’étais persuadé d’avoir perdu le titre. Je ne savais pas que Blanca avait gagné l’événement et que, donc, nous étions à égalité de points. Moi, j’étais persuadé que Lina avait gagné l’événement. Du coup, après, quand je regarde cette vidéo, je me dis que c’est un peu l’image de ma journée : je ne comprends rien à ce qui m’arrive autour de moi.

En fait, je ne compte pas les points dans une compétition, je déteste ça. Je n’avais vraiment aucune idée que Blanca était encore dans le match. Mais quand je regarde cette vidéo, ça m’émeut aussi, beaucoup. Parce que c’était un choc. À la fois, j’ai ma colère de cette mauvaise journée, et à la fois, j’ai la satisfaction d’avoir quand même réussi à conserver mon titre et d’avoir essayé de ne pas m’arrêter sur cette dernière journée, parce que, vraiment, le reste de la saison a été quasiment parfait. Donc, quand je la regarde, j’essaie de me rappeler qu’il n’y a pas eu que cette sale journée. Il y a aussi eu une belle saison avant. Et c’est pour ça que j’ai gagné le titre.

Sur la vidéo, on voit qu’il y a ton papa avec toi. C’est une source de réconfort importante pour toi sur les grandes compétitions de l’avoir à côté de toi ?

Oui. En plus, durant l’été, j’ai traversé un moment un peu difficile où je n’étais même pas sûr de continuer ma carrière. Je me disais que j’allais arrêter à la fin de la saison, parce que j’avais eu un gros coup de mou en termes de motivation, et avec toutes les problématiques actuelles de notre sport, c’est un peu dur de rester dans le match.

Du coup, à ce moment-là, avec en plus tous les événements annulés, j’avais un peu de budget et je pouvais emmener mon papa au Japon. C’est un ancien sportif, un planchiste, donc je sais que sa présence est une aide précieuse à terre. Et le Japon, c’est un gros voyage, donc l’avoir avec moi était vraiment un soulagement. C’est pour toutes ces raisons qu’il était avec moi ici au Japon. Sa présence est une source de réconfort et permet aussi de déconnecter parfois. Pour des raisons logistiques et de confort, c’était vraiment bien de l’avoir avec moi.

Comment il a vécu cette dernière journée ? Il t’en a parlé ?

Il ne savait pas quoi me dire. Il me disait qu’il se sentait inutile. Il voyait que j’étais consciente et que je me sentais bien. J’étais lucide. Ça ne se ressent peut-être pas trop avec mon histoire de départ, mais j’étais concentrée et j’analysais tout correctement. Donc, il ne savait pas quoi me dire dans le sens où il sentait que j’avais les pieds sur terre et que j’étais concentrée.

Là où il a eu les bons mots, c’est lors de mon retour sur la plage après l’incompréhension avec le bateau comité. J’étais forcément hyper en colère. Il a réussi à me dire qu’il fallait que je mette ma colère au service de la performance, que j’arrête de ruminer contre le comité et que je passe à la course suivante. Et c’est ce que j’ai réussi à faire, même s’il y a eu cette catapulte en demi-finale. Mais avant elle, je me sentais vraiment bien, donc il a surtout servi à ce moment-là. Puis, après, forcément, quand je suis rentrée à terre et que l’on pensait que j’avais perdu le titre, on avait déjà commencé à digérer le fait que j’étais vice-championne du monde, d’où le choc au moment de l’annonce.

Quel est ton programme maintenant ?

Là, du coup, j’ai un examen que je passe cet après-midi (20/11/2025). Après ça, je serai en repos complet pendant environ deux semaines. Je reprendrai tout doucement l’entraînement à un rythme assez cool jusqu’à la fin décembre. Et puis, à partir de janvier, ça va repartir fort. L’année prochaine, je continue en Slalom et en IQ avec les mêmes objectifs, mais avec l’idée aussi d’alléger un tout petit peu le calendrier, vu que j’ai été un peu trop sollicitée cette année. Il faut que j’arrive à réguler un peu plus. Et j’aimerais aussi aller chercher un peu de vitesse en foil. J’aimerais bien m’aligner sur des épreuves comme le Prince of Speed et le championnat du monde de vitesse.

Ta réflexion de cet été sur un éventuel arrêt a disparu ?

Oui, en trouvant d’autres solutions pour adapter un peu mieux le projet à mes envies et à mes besoins. C’est vrai qu’après, financièrement, c’est assez compliqué avec la PWA. On sait que, quand tu es fatigué et qu’en plus ça n’apporte rien financièrement, il y a un moment où tu te dis que tu vas juste finir les études que tu as commencées et te trouver un vrai job. Moi, j’étais beaucoup dans cette dynamique cet été. Mais après, ce qu’on vit est tellement fort que je me dis que tant que j’ai l’opportunité, je continue. Cependant, les conjonctures actuelles ne sont quand même pas simples.

📸 ©John Carte / PWA


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