Comme certains l’ont déjà compris, je mène depuis maintenant deux ans un combat contre une blessure invisible. Un combat au cours duquel j’ai compris que je n’étais pas seule, et que, justement parce qu’elle est invisible, la société s’arrange souvent pour ne pas la reconnaître. J’ai donc essayé de mettre des mots sur ce que je vis. Mais commençons par le début : retour sur une année charnière.
L’année 2023 a été à la fois la plus belle et la plus terrible de ma carrière. J’ai terminé 3ᵉ mondiale cette saison, mais j’ai aussi subi une chute qui a bouleversé ma vie. Le diagnostic est tombé : traumatisme crânien léger, autrement dit une commotion cérébrale.
En clair, j’ai supposément développé des micro-lésions à la suite d’un choc à la tête. Ces lésions sont invisibles à l’imagerie médicale, mais les symptômes, eux, sont bien là : black-out, nausées, confusion dès les suites de l’accident. J’ai été prise en charge aux urgences, puis raccompagnée chez moi avec une simple ordonnance de paracétamol en cas de maux de tête. Sans avertissement, sans explication.
Rapidement, j’ai compris que quelque chose clochait. Les symptômes se sont multipliés dans les jours qui ont suivi : hypersensibilité à la lumière et au son, maux de tête violents, fatigue extrême, vertiges, nausées, troubles de l’humeur, anxiété, tristesse, difficultés cognitives (concentration, attention, mémoire)… Je me suis retrouvée plongée dans un océan dont j’ignorais les règles, incapable d’anticiper les courants et les marées.
J’ai frappé à toutes les portes : urgences, médecins généralistes, spécialistes du sport, ostéopathes, kinés, radiologues, neurologues… Bien que j’aie rencontré de la compassion, je me suis aussi heurtée à des professionnels qui, faute de preuves visibles à l’imagerie, me disaient que ça allait passer. Que je devais prendre mon mal en patience. Résultat : prescription d’antalgiques plus forts. Le tramadol est devenu mon quotidien pendant un an.
Je suis de nature à faire confiance aux professionnels. Peut-être parce que mon père, aujourd’hui décédé, était lui-même médecin généraliste, et qu’il plaçait toujours la santé de ses enfants au premier plan. Il m’est donc difficile de dissocier la figure du soignant de celle du parent protecteur. Avec si peu d’énergie à ma disposition, j’ai souvent choisi la voie de moindre résistance : suivre les conseils donnés. Alors oui, même lorsqu’un médecin m’a dit, des mois plus tard, que c’était sûrement « dans ma tête », j’ai exploré cette piste-là. J’avais l’impression de devenir folle. Moi qui aimais ma vie avant l’accident, je la voyais m’échapper, impuissante.
Je ne veux pas nier que certains professionnels m’ont aidée, à leur manière. Ce que je regrette, c’est le manque d’humilité et de curiosité de certains. Le médecin qu’un patient consulte devient un référent : s’il ne maîtrise pas un sujet, il devrait avoir l’humilité de l’admettre et réorienter le patient vers quelqu’un de plus compétent. Et s’il ne connaît personne, qu’il fasse preuve de curiosité pour au moins proposer des pistes. En tant que patiente, je ne connaissais rien au système de santé, ni à qui pouvait m’aider.
Ce manque d’humilité et de curiosité, je l’ai aussi ressenti dans mon entourage. Combien de fois ai-je entendu : « C’est sûrement ton subconscient », « C’est le vaccin », « C’est ta contraception » … Autant d’avis donnés sans fondement, basés sur des idées reçues. Mais je les comprends. Qui ne juge pas un livre à sa couverture ? Comment croire qu’un traumatisme qualifié de “léger” puisse avoir de telles conséquences ? Peut-être qu’un changement de terminologie médicale permettrait d’éviter ce genre de confusion.
Mon ressenti, après deux ans de parcours médical : notre société et notre système de santé sont encore largement centrés sur le visible. Ce qui ne se voit pas, n’existe pas. Pourtant, mon corps n’était plus le même. Et mon quotidien était devenu impossible sans l’aide de mes proches.
Pour vous donner un aperçu, voici à quoi ressemblait ma vie un an et dix mois après l’accident : je n’avais de l’énergie que pour quelques heures dans la journée. Je travaillais 1 à 2 heures par jour, pas tous les jours. Mon plaisir se trouvait dans des activités douces comme le coloriage ou le crochet. J’écoutais mon corps et faisais jusqu’à 2-3 siestes par jour. Je n’avais plus d’activité physique régulière, plus de préparation physique, et le windsurf se résumait à 30 minutes par semaine… dans les bons jours. Je ne conduisais plus. Chaque déplacement nécessitait un effort que je n’avais plus la force d’assumer.
La vérité, c’est que cette blessure est loin d’être anodine. Elle dispose de protocoles bien définis dans de nombreux sports de contact (rugby, football, handball…). Pourtant, en tant que sportive de haut niveau inscrite sur les listes ministérielles, je me suis retrouvée dans une errance médicale de plus d’un an. Il semblerait que les commotions cérébrales n’existent pas dans le monde de la voile française. Comme si pratiquer un sport dit “de plage” excluait la possibilité de blessures graves. Pourtant, même une simple chute dans la rue ou un accident domestique peut provoquer des séquelles lourdes. J’ai reçu des témoignages de personnes ayant subi des commotions en se cognant contre un poteau ou en refermant un coffre de voiture — et vivant des séquelles similaires aux miennes.
Cette expérience me fait peur pour les autres. J’avais un certain statut, des soutiens, et malgré cela, j’ai dû me battre pendant deux ans pour qu’on me prenne au sérieux. Je suis encore en lutte avec les assurances, qui considèrent ma blessure comme l’équivalent… d’une cheville raide. Alors, qu’en est-il du sportif amateur, de l’étudiant, du parent, de l’employé lambda ? Combien vont se retrouver piégés dans cette machine infernale ?
Avec le recul, je comprends que ce n’était pas ma première commotion. Les précédentes ont été ignorées. Invisibles. Je souhaite aujourd’hui sensibiliser sur cette blessure qui peut survenir de manière banale, mais dont les conséquences sont tout sauf anodines.
Je ne suis pas encore remise à 100 %, et peut-être que je ne le serai jamais, à cause de la prise en charge catastrophique que j’ai connue. Mais j’ai enfin trouvé un spécialiste qui m’écoute et m’apporte de vrais résultats. Et ça change tout.
Pour ceux qui souhaitent mieux comprendre, j’ai également publié un témoignage vidéo sur ma chaîne YouTube, où je décris les aléas d’une commotion au quotidien.
Un merci tout particulier au docteur Chermann, neurologue spécialisé dans les commotions cérébrales du sportif, qui consacre sa carrière à faire évoluer la prise en charge de cette blessure.