Interview Exclusive d’Olivier Defranc qui a traversé l’Atlantique en 26 jours

Janvier 1982. Olivier, au centre, lors de l’arrivée de Christian Marty sur la plage à Kourou. À droite, la femme de Christian, Christiane.

Entre décembre 1981 et janvier 1982, Christian Marty réussit l’exploit de traverser l’Atlantique en planche à voile. Il a parcouru les 4 222 kilomètres en 37 jours 16 heures et 4 minutes. Au large de la plage de Kourou, au niveau des îles du Salut, un ado de 12 ans est allé l’accueillir sur l’eau. L’impact de cette traversée et cette rencontre vont bouleverser la vie du gamin. C’est même si fort que ce dernier promet à Christian de traverser lui aussi un jour l’Atlantique. Pendant plus de 40 ans, ce rêve va lui occuper un coin de la tête avec une première tentative avortée en 1991, la faute à un manque de sponsors. En 2000, Christian Marty disparait tragiquement. Il est le commandant de bord du fameux Concorde qui s’écrasé à Gonesse. Olivier compte bien honorer la promesse qu’il lui avait faite un jour.

En septembre dernier, j’ai eu l’occasion de rencontrer Olivier Defranc que nous vous avons présenté dans le Planchemag 427 (actuellement en kiosque). Son e-mail d’approche m’avait attiré, intrigué. Pendant une heure trente, je l’ai écouté me raconter son histoire, son projet, son rêve : celui de traverser l’Atlantique en planche à voile, comme avant lui Christian Marty en 1981. Aujourd’hui, des personnages comme Olivier, il y en a peu dans notre sport. Lors de notre déjeuner, sa motivation, son engouement ne pouvait que me motiver à le suivre dans son périple. Quatre mois après notre rencontre, je me dis que j’ai bien eu raison de nouer ce contact. À 55 ans, il vient de réaliser son rêve en 26 jours. Avoir eu la chance de l’écouter une heure de plus à me raconter sa traversée est un privilège que je souhaitais bien sûr partager avec vous. Prenez quelques minutes, installez-vous bien dans votre fauteuil et écoutez Olivier, un windsurfer passionné qui s’est donné les moyens pour réaliser son rêve.

 

Salut Olivier. Comment ça va une semaine après ton arrivée ?

Je suis fatigué. Mon corps a vraiment pris cher. C’est-à-dire que je ne suis plus tout jeune (il rigole). J’ai beaucoup de mal à m’en remettre. Depuis ce matin (lundi 13 janvier, ndlr), je n’arrive plus à marcher, donc c’est un peu chiant. J’ai mal un peu partout dont les genoux et j’ai les doigts gonflés… Et puis je suis fatigué aussi avec le décalage horaire. Ce n’est pas évident, mais ça va, le moral est bon.

 

Où es-tu en ce moment ?

Je suis rentré chez moi à La Réunion. En gros, depuis que je suis arrivé à Kourou, je n’ai plus touché terre. La télévision guyanaise m’a convié sur son plateau le soir-même de l’arrivée. On a fait 140 bornes aller/retour entre Kourou et Cayenne pour y aller alors que j’étais vraiment fatigué. Le lendemain, on est retourné à Cayenne, on a fait la tournée des radios, une heure et demie d’émission. Le truc, c’est qu’on a eu un tel vacarme pendant 27 jours de traversée que moi j’ai eu du mal à dormir à l’hôtel. C’était trop calme, je n’arrivais pas à dormir donc que je n’ai pas bien récupéré. Et de là, bah il a fallu débarrasser tout le bateau, je te laisse imaginer tout le bordel qu’il y avait à bord. C’est compliqué l’Atlantique, c’est des grosses vagues, c’est de la grosse houle et ça bouge dans tous les sens. Ensuite, j’ai pris l’avion direction Paris, 9 heures de vol. J’ai attendu 8 heures à l’aéroport et j’ai repris l’avion pour 12 heures de vol pour rejoindre La Réunion, tout ça avec des décalages horaires inimaginables. Je suis donc à La Réunion depuis vendredi et je suis bien cassé.

 

Comment c’est passée la traversée ?

Pour te la faire claire, je me suis mis dans le rouge très vite. Je ne pensais vraiment pas être dans le rouge aussi vite. J’étais bien entraîné mais au bout de quatre jours, je n’arrivais pas à dormir dans mon boudin. Les gens qui ont travaillé dessus n’ont pas bien respecté mes doléances et mon cahier des charges. Mais c’est ma faute, j’aurais dû tout mieux tester avant. Ça a été une super galère de dormir sur la planche. Et comme je suis têtu, au bout de quatre cinq jours, mon équipe m’a dit de monter à bord. Je n’ai pas voulu. J’ai attendu dix jours pour y aller car ça devenait trop dur. Lors des trois dernières nuits avant de monter sur le bateau, je n’avais dormi qu’une heure, ce n’était plus possible. Vraiment, je n’étais pas bien.

 

 

 

Qu’est-ce qui n’allait pas ?

J’avais demandé à un shaper une planche de 3,50m avec 18 centimètres de spatule. Je voulais un peu la même board que Christian Marty parce que la sienne, elle avait traversé l’Atlantique. A l’époque, ils avaient fait des miniatures et plein d’études. Moi, j’ai tout simplement copié, vu que ça avait fonctionné. Mais la personne qui m’a fait la planche à voile m’a embarqué dans un chemin qui n’était pas trop le mien en me disant : « mais non, mais c’était il y a 40 ans, maintenant ça a vieilli, on peut faire des planches comme ci, comme ça… » Et en fin de compte, je me suis retrouvé avec un gros funboard de 3,20m alors que je voulais 3,50m, argumentant que plus grand, ça ne servait à rien. Mais la planche elle était innavigable, avec aucune stabilité au vent arrière. J’ai enfourné six fois en un après-midi, jusqu’au pied de mât. J’ai été catapulté plusieurs fois et j’ai percé une voile avec ma boucle de harnais. Donc là, j’ai pris une décision. J’ai pris la planche de secours que m’a offert la société Equipe Trading et Patrice Belbeoch, une Exocet Windsup bamboo 11.8. Et voilà. Et j’ai traversé avec cette planche-là.

Pour le boudin, je voulais qu’il fasse 3,50m comme la planche et que ça fasse en gros comme un gros cercueil stable. Or là, le boudin, il faisait 2,90 alors que la planche faisait 3,20m. L’eau rentrait de partout, il n’y avait pas d’homogénéité. Ce n’était pas bien fixé, ce n’était pas bien stable. À 2 h du matin, j’étais trempé et je claquais des dents. Et puis tout s’est désolidarisé. L’Atlantique, ce n’est pas un truc facile à faire parce que ce n’est pas de tout repos, ça bouge tout le temps, ça fait beaucoup de bruit et puis il faut se reposer. Dans ces conditions, ce n’était pas possible. Je naviguais entre cinq et sept heures par jour. Donc sans sommeil récupérateur, j’ai été tout de suite dans le rouge. Le 23 décembre, le médecin dans le bateau a commencé à me dire : « Olivier, il faut que tu remontes sur le bateau. » Mais j’étais axé sur la traversée de Christian, alors c’était hors de question. J’ai un fort caractère, on s’est mis en colère. Le 24 décembre au soir, mon équipe m’a dit : « voilà, si tu ne remontes pas, on arrête tout. On met les voiles et on s’en va avec toi sur le bateau et là, il y aura plus de planche à voile, il y aura plus d’Atlantique parce que là tu vas mourir en direct. Ce n’est pas possible, on ne peut pas naviguer comme ça. »

J’étais devenu exécrable, je n’avais plus d’appétit. Ça devenait très compliqué. On ne dirait pas comme ça, mais quand tu ne te reposes pas, tu deviens un peu débile. Bon ben là, je n’avais pas le choix. Je suis monté sur le bateau et j’ai dormi de 20h10 à 8h30 le lendemain matin, d’une traite tellement j’étais mort.

Après mon équipe m’a dit : «si on fait comme ça, il n’y a pas de problème, tu repars. » On a réussi à trouver un deal parce que je suis quand même un peu têtu (il rigole). Je leur ai dit : « OK, quand les conditions sont énormes, je monte sur le bateau pour dormir, mais quand les conditions sont belles, je veux dormir sur mon boudin. » Après, quand tu as goûté au bateau, je vais être honnête avec toi, tu y prends goût. J’ai dormi sur le boudin encore trois nuits, mais ce n’était pas évident. Une fois que tu as dormi sur le bateau, t’as plus envie de dormir mouillé, surtout que j’avais des bobos partout.

 

Comment se passaient tes journées de navigation ?

Naviguer, c’est long mais je le savais, je m’étais préparé pour ça physiquement à Font-Romeu plusieurs semaines, heureusement d’ailleurs. J’ai fait un truc que je n’aimais pas. J’étais à la montagne, dans la neige. Ce n’est pas trop ma tasse de thé, moi je suis un mec des îles, je suis guyanais, je vis à La Réunion, je n’ai jamais vécu en France et là, le fait d’avoir fait cinq semaines en montagne, ça m’a fait du bien, ça a été bénéfique pour mon mental.

Faire de la planche à voile, c’est super agréable quand tu es près des côtes, quand tu vas vite. Quand tu navigues entre cinq et sept heures, les trois premières heures passent facile, tu viens de te réveiller et les batteries sont rechargées. Mais très rapidement, ça devient gonflant. C’est insupportable de monotonie. Moi, je vous dis franchement, c’est insupportable. Et puis en plus, on m’avait dit : « oui, tu verras l’Atlantique, il y a 20 nœuds de vent, tu te mets au harnais, ça ne bouge pas…» Mais ça, ce n’est pas vrai. Ce sont des conneries ça. L’Atlantique, c’est une mer qui est très houleuse. Tu peux avoir jusqu’à cinq ou six mètres de houle avec du clapot qui peut faire jusqu’à un mètre. C’est innavigable. Tu t’épuises en permanence. J’ai eu ça et des sargasses. Il y a eu des moments où je me suis vraiment demandé ce que je foutais là. S’il n’y avait pas eu toute mon histoire derrière avec Christian Marty, j’aurais jeté l’éponge.

 

Tu as pensé à arrêter un moment ?

Tous les jours. Tous les jours, tu navigues et tu te dis ce n’est pas possible ! Il est 15h et je suis épuisé, je suis brûlé par le soleil, j’en ai marre. Tu t’arrêtes parce que tu as un paquet de sargasses dans les ailerons. Mais après je me disais : « Olivier, tu as vendu ta maison, tu as mis ta famille en péril. Tu as une femme qui a monté le projet pendant deux ans… » Je suis orgueilleux, je ne te cache pas qu’il y avait plein de gens et j’en ai entendu plein qui m’ont dit mais c’est quoi cette espèce de fou ? Et on va attendre qu’il se casse la gueule… Donc c’était super motivant pour aller jusqu’au bout. Je ne voulais pas faire plaisir à certaines personnes plus ou moins toxiques. Et bien sûr que j’y ai pensé, mais j’ai mon orgueil et puis j’ai dit on mettra le temps qu’il faudra.

 

Tu t’attendais à mettre si peu de temps ?

Non. Dis-toi que si Christian Marty avait eu le même capitaine que moi, avec les mêmes cartes et tous les sites internet qu’il y a aujourd’hui, il aurait mis 23/24 jours. Lui, il naviguait neuf heures par jour. Moi, j’en suis incapable.

Quel est ton meilleur souvenir ?

C’est quand je vois les îles du Salut. C’est-à-dire que c’est plein d’émotion pour moi, parce que j’attends ça depuis 40 ans. La Guyane, c’est un pays avec de la vase parce qu’il y a l’Amazone et après tu as des bouées dans le chenal jusqu’aux îles du Salut. Entre la bouée K1et K0, tu as une barre énorme qui peut faire deux trois mètres de vagues. Et petit, moi, ça m’avait complètement impressionné ce truc-là. C’est là que j’avais attendu Christian avec un copain. Nous étions partis tous les deux en planche à voile et j’étais allé au large. Je me suis arrêté au même endroit et j’ai fait une petite vidéo. Dessus, je suis en pleurs parce que j’attends ça depuis 40 ans. En regardant au loin, je savais qu’il ne pouvait plus rien m’arriver. Il y a l’arrivée, il y a aussi le fils de Christian Marty qui m’attend…

 

Comment as-tu vécu l’accueil à l’arrivée qui signait ton retour sur ton île natale ?

Je n’ai pas fait ça pour la notoriété. Si j’ai créé une page Facebook, c’était parce que mon épouse et ma famille voulaient avoir des nouvelles tous les jours, sinon j’aurais fait ça en catimini dans mon coin. Donc là, je suis un peu étonné. Il y avait quarante personnes sur la plage. J’aurais pensé en tant que Guyanais qu’il y aurait un peu plus de monde, mais bon, ce n’est pas grave, ça ne m’a pas dérangé. Et après, j’ai retrouvé mes copains d’école. Ça a été émouvant parce que tu mets un visage mais tu n’arrives pas à mettre un nom. Et puis il y avait le fils de Christian qui m’attendait. Et je crois que c’est ça le côté magique. La télé est là, aussi, elle filme et tu ne contrôles plus rien. De toute façon, il faut se laisser aller parce que tu ne maîtrises plus rien, ce sont eux qui pilotent.

 

Combien de temps es-tu resté sur place ?

Trois jours. Le premier soir, j’ai fait des plateaux de télé à Cayenne. Le lendemain, j’ai fait de la radio, beaucoup de radio et après j’ai vidé le bateau. Et le dernier jour, j’ai fait beaucoup de presse papier avant de prendre l’avion dans la soirée. On est rentré parce que je voulais retrouver ma famille. Ça faisait quand même quasiment trois mois que je ne les avais pas vus. C’était l’aboutissement de deux ans et demi de boulot de préparation, j’avais envie de rentrer et de retrouver les miens.

Tu sais, ça a été un petit peu dramatique cette fin de traversée pour moi parce que quand j’ai monté le projet, j’avais dit au capitaine que je pensais mettre 32 jours. Christian en avait mis 36/37 et moi, je pensais qu’en 32 jours, c’était bon. On avait fait le calcul pour arriver vers le 12 ou le 15 janvier. Ma femme étant à La Réunion avec mon fils, ils étaient en stand-by pour arriver à cette période. Mais comme on est arrivé vers le 5 janvier et qu’à cette période les billets d’avion à La Réunion ont flambé, ils n’ont pas pu venir. Ma femme m’a dit : « Écoute Olivier, on a éclaté le budget et au jour d’aujourd’hui, je ne viendrai pas. Ce n’est pas possible, ça va nous coûter trop cher. » Donc je me suis retrouvé un peu tout seul, comme un couillon. Ça m’a fait mal. Mais bon, c’est la vie, c’est comme ça.

 

Tout ça parce que tu es allé trop vite.

(Il rigole) Ouais. Je l’ai un peu reproché au capitaine. Je lui ai dit mais putain on aurait dû partir le 15 décembre (il rigole). C’était sa septième transat. Il a 59 ans de mer et m’a dit : « Olivier, vraiment, je pense que Christian de là-haut, il t’a donné du vent parce que les conditions météo que tu as eues, je n’ai jamais vu ça. » On n’a jamais attrapé le Pot-au-noir. On est parti avec quinze nœuds. J’ai pris 27 nœuds au large du Brésil. Ça paraît pas beaucoup quand tu fais du windsurf, 27 nœuds avec des voiles de 7m2, ça envoie. Nous sommes arrivés en Guyane, on avait dix nœuds de vent, donc génial ! On a pris du vent tous les jours. Il n’y a pas un jour où je suis resté scotché dans les boudins à attendre que ça se passe.

 

Quelles ont été tes conditions de navigation ?

J’ai des copains la veille de mon départ qui m’ont appelé pour me rassurer. Ils m’ont dit : « tu vas voir, tu te mets dans l’eau, tu ne bouges pas. La mer, elle est belle… » J’aurais pu boire un café en naviguant si je les avais écoutés. Mais ce n’est pas ça du tout, ce n’est pas vrai. On a eu 2,50m de creux tous les jours. Et quand on est arrivés sur le plateau amazonien, on a eu des gros orages avec jusqu’à cinq six mètres de houle et beaucoup de clapot. Niveau vent, d’un coup il y en a, d’un coup il y en a plus et tu te casses la gueule. Le matin, tu as de l’air parce que la nuit les alizés sont très forts. Tu te mets dans l’eau dans 17/18 nœuds. Et là tu, envoies bien fort. Á midi, ça se casse la figure. Tu tombes à dix nœuds voire moins. À 16h ça remonte jusqu’à 18h. Et à 19h, dès que le soleil disparaît, ça attaque de nouveau à 20/30 nœuds. Et c’était ça tout le temps. Ça met ton corps à rude épreuve je peux te dire. J’étais fatigué, mais c’était bon.

 

Quel matériel as-tu utilisé ?

J’ai utilisé trois voiles sur les huit que j’avais emmenées. 6,3m2, 7,3m2 et 7,8m2

Niveau planche, comme je te l’ai dit, celle que je m’étais faite shaper n’a pas fonctionné. Il n’y avait aucune stabilité, elle partait dans tous les sens, elle était incontrôlable. Avant de partir, la société Equipe Trading et Patrice Belbeoch m’avait donné une Exocet Windsup bamboo 11.8, qu’à la base je ne voulais pas, mais il m’a dit prends-là parce qu’on ne sait jamais, ça sera ta planche de rechange. Il avait raison, je n’ai navigué qu’avec elle. Le seul problème est qu’elle avait un pintail à l’arrière et avec le double wishbone, assis à la Christian Marty, elle partait dans tous les sens, impossible de naviguer au vent arrière. J’ai donc pris une décision radicale. J’ai demandé au capitaine du bateau de descendre au vent arrière et moi j’allais tirer que des bords en grand largue. J’ai rajouté 300 miles à peu près sur la traversée de l’Atlantique. Mais je suis allé très vite.

 

 

Ça t’a motivé pour te lancer dans d’autres projets ?

Pour l’instant, pas du tout. Je récupère. Je suis fatigué, mais vraiment fatigué. Donc pour l’instant, pas de projet. Et puis tu sais, j’ai mangé beaucoup d’argent avec ce projet. J’ai vendu ma maison quand même. Et comme dit ma femme, « on ne va pas faire un projet comme ça tous les trois ans parce qu’il y a un moment où on ne pourra pas, on ne pourra plus vivre là. » Ça coûte beaucoup d’argent de louer un bateau, d’avoir un équipage, de payer des billets d’avion, les chambres d’hôtel, les six voyages que j’ai fait en France pour préparer le matos, les préparations, le boudin, la planche à voile, la nourriture… Moi j’ai tout payé.

 

Ça t’a coûté combien au total ?

C’est un projet à 77 000 € environ. Ce n’est pas tout le monde qui peut mettre ça. Je suis père de famille. J’ai un gamin qui part faire des études, il faut s’occuper tout ça. Hors de question que je joue l’égoïste comme ça toute ma vie quoi. Là, j’avais ça dans la tête depuis dix ans. Ma femme a accepté mon caprice mais bon, pas tous les jours, ce qui est normal.

 

Qu’as-tu croisé de plus extraordinaire durant ta traversée ?

Pas mal de gros porte-containers. J’ai croisé un terminal gazier de 350 mètres aussi. Je peux te dire qu’on est tout petit à côté. C’est vraiment impressionnant. J’ai voulu aller le voir d’un peu plus près mais j’ai fait vite demi-tour. J’ai vu un énorme requin aussi qui est passé sous la planche. Il n’était pas agressif, il était en mode balade mais il devait mesurer au moins quatre mètres.

Après, ce qui est impressionnant, ce sont les bateaux de pêche les uns contre les autres en plein milieu de l’Atlantique et qui sont en train de vider l’océan de ses poissons. Ça, c’est inquiétant. Dis-toi que sur 27 jours de navigation, on n’a rien pêché alors que les cannes étaient toujours sorties.

J’ai vu quatre dauphins aussi au large du Brésil. Et j’ai eu un petit oiseau qui m’a suivi pendant trois jours et qui s’est même posé sur mon wishbone. Il est resté vingt minutes, c’était magique.

J’ai découvert les sargasses aussi. Alors ça, je n’en avais jamais vu et mon capitaine m’avait prévenu qu’on allait en choper un petit peu au niveau de la Guyane. On les a attrapées trois jours après Dakar. La misère. Il faut quand même savoir que la sargasse, c’est de la pollution. C’est à cause du réchauffement climatique. Je ne vais pas faire l’écolo, mais c’est inquiétant. C’est inquiétant parce que je me suis retrouvé coincé dans des champs de sargasses qui faisaient la taille d’un demi-stade de football.

 

Pour conclure, ça fait quoi d’accomplir un tel rêve.

J’attendais ça depuis tellement longtemps… Je m’étais fait un film dans ma tête parce que j’écoutais ce que me disait Christian Marty à l’époque et, en fin de compte, c’est pas du tout, mais pas du tout comme il m’a dit. C’était très difficile. Niveau temps, je n’ai pas battu son record parce que je suis monté sur le bateau, contrairement à lui. Mais il faut retenir par contre que j’ai réalisé mon rêve de gamin, celui que je lui avais promis. Pour moi, c’était ça l’Atlantique. Je ne suis pas dans le record, dans la performance. Moi, je voulais réaliser mon rêve et je l’ai fait. C’est ça qu’il faut garder en tête.

Par Julian Schlosser / Planchemag

📸 © Olivier Defranc

 

👇 La vidéo retraçant la traversée de Christian Marty en 1981👇