Antoine Albeau : “J’ai pas mal bossé sur le canal car quand je suis arrivé, il n’était pas prêt du tout”

De retour sur son île natale, le Rétais le plus rapide du monde s’est confié en exclusivité à Planchemag après son séjour à Lüderitz. Comme à son habitude, c’est direct et sans langue de bois !

Salut Antoine, comment ça va ?

Ça va, merci. Je suis de retour à la civilisation. Je suis chez moi sur l’île, bien tranquille.

Avec quel objectif partais-tu à Lüderitz ?

Battre le record du monde et faire les 54 nœuds.

Objectif presque atteint ?

Oui. Mais bon, Lüderitz, quand tu y vas, tu es confiant en toi, tu es à fond mais tu es tout de même bien dépendant du canal. S’il est bien, c’est top, mais s’il n’est pas bien ou moyen, tu sais que ça va être galère.

Cette année, il était comment par rapport aux années précédentes ?

L’année dernière, ça clapotait un peu à la fin mais il était pas mal. La berge était assez droite. Mais je me suis cassé les côtes le deuxième jour donc je n’ai pas pu trop naviguer dessus, l’exploiter comme je le voulais.

Cette année, tu avais une première partie qui était vraiment excellente et une deuxième partie qui n’était pas facile, pas lisse. J’ai pas mal bossé dessus car quand je suis arrivé, il n’était pas prêt du tout. Il n’y avait pas assez d’eau dedans. Il fallait pomper pour remettre de l’eau et creuser encore. Si on avait eu vraiment du vent cette semaine-là, on n’aurait pas pu faire de runs. Honnêtement, quand j’ai vu le canal, je me suis dit que je n’allais jamais mettre un pied dedans.

En fait, ce qu’il s’est passé, c’est que le gars qui a travaillé le canal avec sa pelleteuse, il a attaqué en partant du bas et il s’est enlisé au milieu.

Ils ont mis deux jours à sortir la pelleteuse. Une grosse pelleteuse de plusieurs tonnes. Une fois qu’ils l’ont sortie, le mec s’est barré direct avec.

Il a dit « c’est bon j’arrête, je ne veux pas replanter ma pelleteuse ». Il a pris son camion et il est parti. Tout le reste a été creusé au début par une mini pelle qu’on n’a pas pu conserver pour faire des modifications et ensuite à la main. C’est un truc de malade. Tu as quinze mecs avec des pelles qui creusent le canal. C’est fou. Tu ne trouves pas d’engin là-bas, la ville la plus proche est à 8h de route et c’est trop cher.

Pourquoi, selon toi, y avait-il si peu de monde cette année ?

Je ne sais pas. Je pense que toute l’équipe de speeders, les Hollandais et les mecs de là-haut, ils se sont un peu pris la tête avec Raphi, l’organisateur. Tu sais, quand tu arrives là-bas et que tu tournes en rond, tu regardes le canal, il n’y a pas de vent, tu fais des runs avec pas beaucoup de vent, les mecs, ils cogitent tous.

Ils sont tout le temps là en train de te dire ce que tu dois faire pensant que leur idée ou théorie est meilleure que celle de l’autre… Tout le monde lui cassait les oreilles en lui disant que ce n’était pas bien… Il n’en pouvait plus. Je pense que les mecs se sont un peu monté le chou sur le canal parce qu’ils pensent qu’ils sont tous plus forts les uns que les autres.  Et, surtout, ils se sont émoussés car ils viennent tous les ans depuis 2015. L’année dernière, il n’y en avait plus beaucoup et cette année, seul Gunnar est revenu.

Mais quand nous y étions, que ce soit moi ou Brendan Lorho, ils nous envoyaient tous des messages, nous posaient des questions sur le canal, le vent, comment c’était… Nous, on se parlait entre nous et on recevait les mêmes messages des mêmes mecs. Ils étaient comme des malades et, finalement, veulent revenir l’année prochaine.

Ils ont vu que ça glissait. Mais bon, tu restes super dépendant du vent. L’année dernière, je ne pense pas que l’on aurait fait un record même si je n’avais pas été blessé. Le vent n’avait pas été assez fort.

Cette année, on a eu de la chance avec plusieurs jours de vent fort.

Concernant l’organisateur Raphi, cette année, je n’ai pas trop voulu le brusquer quand je suis arrivé même si j’étais un peu dépité. Je me suis dit « merde, avec les partenaires que tu as trouvés, les mecs te paient le voyage pour aller là-bas, on va revenir, je ne vais pas mettre un pied dans le canal. Qu’est-ce que je vais leur dire ?… »

Et puis au final, Raphi s’est bougé. Moi, je me suis mis avec lui, je ne me suis pas mis contre lui. Je lui ai demandé si je pouvais faire deux trois trucs sur le canal. J’y allais donc tous les matins avec son équipe et quelques pelles et on essayait d’améliorer le canal à la main, comme on pouvait. Il s’est avéré qu’on a réussi à faire une première partie du canal qui était exceptionnelle et une deuxième partie, là où le mec a creusé, on n’avait une grande virgule avec pas mal d’eau.

On ne pouvait pas bouger le sable à la main. Il aurait fallu un engin pour continuer la longueur des sacs de sable droit. Cette deuxième partie, on l’a donc laissée un peu comme elle était. J’ai mis de l’angle dans les sacs pour éviter que le clapot casse dessus. Je ne vais pas dire que c’est grâce à moi, mais j’ai fait tout ce que je pouvais pour améliorer le canal.

Le mercredi où j’ai fait le record à 53,38 nœuds (retombé à 52,98 nœuds après la vidéo), le matin, j’ai passé une heure et demie avec Mimo et huit mecs à bouger les sacs, marcher dessus pour bien les mettre… On a fait tout le canal. J’avais plus de pieds à la fin ! La peau de mes orteils était limée !

J’ai essayé de tout améliorer. J’ai tout effacé, toutes les empreintes qu’il y a sur les 25 mètres au vent du canal, toutes les traces de pelleteuses… On a tout fait pour que ce soit le plus aérodynamique possible. Raphi, il me prenait pour un fou. Je pense que ça a payé, que ça a amélioré le canal.

 

Ça représente quoi comme budget un tel record ?

Plus ou moins 15 000 euros. Avec ce budget, j’ai dû payer deux protos planches et trois de voiles car j’avais dépassé mon budget matos annuel autorisé par JP/Pryde. Il y a mon billet d’avion et celui de Mimo, plus l’excédent de bagages, l’hôtel, la bouffe pour quatre semaines et les frais d’inscription qui sont de 5 000 euros.

Humainement, c’est lourd aussi car tu pars quatre semaines loin de ta famille.

Niveau matos justement, tu as utilisé quoi ?

La première semaine, les jours où il y a eu du vent et que nous ne pouvions pas aller sur le canal, on a navigué en mer sur le spot de Diaz. J’en ai profité pour tester mes voiles protos car j’avais un peu de mal à les régler au début et puis finalement ça s’est super bien passé. J’ai pas mal navigué avec la planche de série, la JP 40. J’ai fait le premier record (qui n’en était plus un le soir) avec cette planche. Ce qui est cool car j’ai établi une performance en planche de série avec un run à 52,98 nœuds. L’ancien, je crois que c’était Anders, à 51 quelque chose.

Ensuite, j’ai utilisé mes deux nouvelles planches que j’ai pas mal testées mais au final, j’ai battu le record avec mon ancienne planche, que j’ai cassé le dernier jour.

Tu ne l’as pas battu avec tes nouvelles planches ?

Non. Je n’ai pas voulu insister parce que tu n’as pas trois jours de vent à bloc. Tu n’as pas le droit de louper le créneau et, par rapport aux conditions, j’ai essayé de mettre toutes les chances de mon côté. Je n’avais pas le droit de rater le créneau et je n’avais pas eu assez de temps pour les tester, pour être bien avec.

Le dimanche matin, j’avais préparé mes 5,3 de 2023 mais je n’étais pas bien. J’ai changé avec ma nouvelle Speed de 2024 et ça allait mieux, mais pas à 100%. J’ai pris mon ancienne planche de speed, celle dont se servait Mimo pour faire ses runs et le combo était parfait. Tout de suite, je me suis senti bien et je n’ai plus rien changé. Ça commençait à aller vite, je me suis concentré sur mes runs plutôt que sur le matos.

Tu penses que le record est possible à battre en dehors de Lüderitz ?

Non, ce n’est pas possible. Le seul moyen serait de creuser un canal ailleurs. Mais c’est impossible de le faire en mer. Il n’y a pas un endroit où c’est assez abattu. Les sacs de sable que l’on utilise là-bas, c’est top. Ça canalise bien le clapot.

Le mercredi, j’ai bien tout analysé avec Manfreud, le gars des GPS. On regardait le soir les traces de son GPS et des miens. Je navigue avec trois GPS sur moi pour bien recouper toutes les informations car il peut y avoir des erreurs. Sur son GPS, sur la première partie du run (250 mètres), je suis à 54,5 nœuds et sur un autre run, je suis à la même vitesse mais sur l’autre partie du canal. Ça veut dire que les 54,5 nœuds, tu peux les faire. Ça veut dire que c’est faisable. Mais il faut le canal idéal.

Quels sont tes projets pour 2025 ?

Comme pour 2024, je vais faire des événements longue distance. Je refais les Antoine Albeau Series fin août. On va être validé comme Championnat de France de longue distance par la FFV. Il y a le défi Wind, le championnat du monde de vitesse fin avril, le Prince of Speed en juin et puis cet été au club, à la maison. Puis, si tout se passe bien, je retournerai à Lüderitz en novembre pour améliorer mon record.

📸 Pete Davies