Billet d’humeur : Son of a Beach

Son of a Beach

Par Vincent Chrétien, en Mai 2014 (et toujours d’actualité)

 

Nos plages sont-elles appelées à disparaître ? La question est aujourd’hui ouvertement posée.

 

Dernièrement, Arte diffusait un documentaire édifiant : Le sable, enquête sur une disparition. Dans son numéro d’octobre 2013, le mensuel ça m’intéresse consacrait lui aussi plusieurs pages à ce sujet qui ne suscite pourtant qu’un intérêt relatif auprès d’un grand public noyé sous un déluge d’informations plus alarmistes et anxiogènes les unes que les autres. Maintenant, fermez un instant les yeux, et imaginez tous nos spots préférés sans la moindre trace de sable ! à la place, rien. Des landes de pierre. Pas terrible, en effet. La plage, cette étroite bande de sable, c’est notre ligne Maginot: d’un côté, la dure réalité, l’adaptation sociale obligée, les compromis à répétition, de l’autre, la fluidité mouvante de l’eau, le rêve dynamique, la transcendance tranquille, l’échappée possible. La plage, c’est bien plus qu’une somme plus ou moins épaisse de micro-sédiments charriés par nos rivières et échoués en bord de mer. Chaque année, ce sont de 2 à 4 milliards de tonnes de ces sédiments qui sont déversés en mer par tous les cours d’eau du monde. Car qu’elles soient dures (granite) ou plus tendres (calcaire), toutes les montagnes sont soumises à l’érosion. Un phénomène purement mécanique.

 

Reste que les deux tiers des Français qui partent en vacances « vont à la mer ». Mais que se passe-t-il donc sur la plage, pour que cette étroite bande de sable agisse sur nous-mêmes et nos contemporains comme un aimant surpuissant ? C’est à cette interrogation que le socio- logue Jean-Didier Urbain, professeur à Paris V, a tenté de répondre au fil d’un ouvrage érudit publié il y a une quinzaine d’années. Pour lui, « la plage est une rêverie du repos, la mer éternellement recommencée, une référence à l’éternité, et le bain une jouvence. La plage est une bulle hors histoire, hors société mondaine, hors tracasseries du quotidien. L’estivant s’y retire du monde comme Robinson en son île. Qu’y cherche-t-il ? Certainement pas la solitude ! Mais peut-être les liens primaires d’une société de base hors des turbulences et des conflits de la vie courante, pour rejouer des scènes sociales heureuses, restaurer des liens défaits, en établir de nouveaux ou encore recouvrer une sensation de voisinage et de familiarité perdue en ville, celle de l’appartenance communautaire. » Il y voit aussi « un certain refus du réel, afin que la plage soit ce désert idéal, cette scène vide, cette rive nue, à l’image du corps dévêtu »… Quelque chose comme « un théâtre suspendu »…

 

C’est vrai qu’il y a un peu de tout ça, mais on serait tenté de faire plus court : la plage est le dernier véritable sas de décompression qui reste à notre disposition. Malheureusement… les faits sont alarmants.

Entre 70 et 80 % des plages du globe sont en recul, apprend-on dans le reportage du magazine ça m’intéresse. Et certaines régions du monde sont sinistrées : le Maroc, la Floride, le Sud-Est asiatique. En France, le phénomène touche un quart du littoral. Chaque année, 7 millions de tonnes de granulats marins sont extraites dans l’Hexagone. Soit une multiplication par trois en trente ans. Dans le monde, on draguerait au moins 75 millions de tonnes de sable par an (sans compter qu’environ 40 % du volume total de sable utilisé se- rait dragué illégalement, car il existe une véritable mafia dans ce domaine). Bien documenté, l’article précise également que « le sable est la troisième ressource naturelle la plus employée après l’air et l’eau, le BTP étant naturellement le secteur qui l’utilise le plus (il faut 200 tonnes de sable pour construire une maison individuelle et 30 000 tonnes pour réaliser un kilomètre d’autoroute). Mais les stocks ne sont pas infinis. Et le dragage du sable à proximité des côtes a une conséquence directe sur la physionomie des plages : il les fait reculer, parfois jusqu’à disparaître. Si ce recul est d’abord imputable à l’érosion naturelle, il est très sérieusement aggravé par l’action humaine.

 

En France, de nombreuses plages sont menacées : à Noirmoutier, sur la commune de l’île Tudy ou encore au cap Fréhel. Mais c’est hors de nos frontières que le phénomène prend des proportions alarmantes. En Floride, neuf plages sur dix sont en voie de disparition, et en Indonésie, vingt-cinq îles sablonneuses ont été purement et simplement rayées de la carte…  Sournoisement, le tapis sous nos pieds est en train de nous être retiré. Notre tapis de sable. Notre tapis volant! Vive l’habitat alternatif, vive les cabanes en bambou… sur la plage…

 

Retrouvez ci-dessous le documentaire dont Vincent parle dans son billet d’humeur.

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